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Autour du Mont-Sainte-Odile, le Mur Païen

Les Muses dans l’ Hortus Deliciarum

8 Juillet 2014 , Rédigé par PiP vélodidacte

Les thèmes traités par Herrade de Landsberg dans l’Hortus Deliciarum sont le plus souvent tirés de la Bible. Cependant Herrade était également une véritable lettrée et certainement une fervente admiratrice des textes anciens. Nous avons déjà donné la lecture, personnelle, d’Herrade de la rencontre d’Ulysse et des sirènes. Aujourd’hui, nous dirons quelques mots de la vision des neuf Muses de l’Antiquité par notre bonne abbesse du Mont-Sainte-Odile.

Les Muses de l’antiquité grecque

Le nombre des Muses varie suivant les auteurs anciens. Tout d’abord, elles étaient trois, Cicéron en compte quatre, mais l’essentiel de la littérature parle de neuf Muses.
Chez les Grecs, les Muses sont les filles de Zeus et de Mnémosyne, déesse de la Mémoire. Ils se sont aimés neuf jours et neuf nuits. Bigre ! De ces amours sont nées neuf filles, qui, avec Apollon, protègent les arts poétiques.

Voici ce que nous dit Hésiode, un contemporain d’Homère, huit siècles avant notre ère,

 

‘Les neuf sœurs issues du grand Zeus se nomment Clio, Euterpe, Thalie et Melpomène, Terpsichore, Érato, Polymnie, Uranie, et Calliope enfin, la première de toutes […] C’est en Piérie qu’unie au Cronide, leur père, les enfanta Mnémosyne, reine des coteaux d’Éleuthère, […] à elle, neuf nuits durant, s’unissait le prudent Zeus, monté, loin des Immortels, dans sa couche sainte. Et quand vint la fin d’une année et le retour des saisons, elle enfanta neuf filles, aux cœurs pareils, qui n’ont en leur poitrine souci que de chant et gardent leur âme libre de chagrin, près de la plus haute cime de l’Olympe neigeux.’

Hésiode, Théogonie

Platon, quatre siècles plus tard, donne une image plus théorique des filles de Zeus. Les artistes ne seraient pas les maîtres de leur art, mais simplement possédés des Dieux et inspirés par les Muses. La création n’existerait pas sur terre, seuls les Dieux seraient à même de créer, les poètes ne seraient que leurs instruments. Voici un extrait des Dialogues Socratiques. Platon rapporte ici une discussion entre Socrate et Ion, un artiste imbu de sa personne.

‘De même aussi la Muse fait des inspirés par elle-même, et par le moyen de ces inspirés d’autres éprouvent l’enthousiasme: il se forme une chaîne. Car tous les poètes épiques, les bons poètes, ce n’est point par un effet de l’art, mais pour être inspirés par un dieu et possédés qu’ils débitent tous ces beaux poèmes. Il en est de même des bons poètes lyriques.[…] Et ils disent vrai : c’est chose légère que le poète, ailée, sacrée ; il n’est pas en état de créer avant d’être inspiré par un dieu, hors de lui, et de n’avoir plus sa raison ; tant qu’il garde cette faculté, tout être humain est incapable de faire œuvre poétique et de chanter des oracles.’

Platon, Dialogues Socratiques

Dans l’ Iliade et l’ Odyssée, Homère parle souvent de ‘la’ Muse, qui inspire poètes et héros. Un seul passage retient le nombre de neuf Muses. Nous sommes alors à la fin de l’Odyssée. Homère décrit le deuil des Grecs à la mort d’Achille.

‘D’une voix magnifique, les neufs Muses se donnant la réplique entonnèrent une lamentation. A ce moment ,tu n’aurais vu aucun des Argiens qui ne versât des larmes, tant ils étaient émus par le chant des Muses.’

Odyssée, Livre VIII

Les Muses d’Herrade

Herrade nous présente un tableau des Muses sous la forme de neuf médaillons, disposés en trois rangées de trois, reliés par un cordage entrelacé. Contrairement aux images anciennes, les Muses sont présentées sans leurs attributs distinctifs, vêtues comme les nobles dames du Moyen Age, visages apaisants, vêtements aux belles couleurs. Toutes regardent vers Polymnie, au centre de l’image. Voici la miniature d’Herrade.

Les Muses, Herrade de Landsberg

Les Muses, Herrade de Landsberg

La vision d’Herrade n’est certes pas celle de Platon, Herrade ne trace pas non plus un simple panégyrique des arts littéraires, que sont censées représenter les Muses. Toujours constante dans l’idée de former ses moniales, Herrade fait de chaque Muse un symbole des qualités qui mèneront les jeunes nonnes vers leur idéal chrétien. Pour ce faire, Herrade accompagne chaque visage de deux sentences latines. La première, située dans la boucle du cordage, explique qui est le personnage ou donne son caractère premier. La deuxième sentence, sise hors boucle, donne un conseil qui aidera la moniale à progresser. ( Nous proposons, ci-après, une tentative de traduction de ces sentences parfois un rien absconses. )
Cette vision des Muses par l’Eglise n’est pas nouvelle au XIIème siècle. Selon A. Christen, Herrade se serait inspirée de l’analyse de Fulgence de Ruspe ( ~500 ap. J.C.), disciple de Saint Augustin. Les Muses, ainsi détournées de leur sens premier, deviennent les inspiratrices de la sagesse chrétienne.

Clio
  • Muse de l’ Histoire, de l’Epopée
  • Son nom signifie : ‘qui est célèbre’
  • Ses symboles : le cygne, un livre, une couronne de laurier
  • La sentence d’ Herrade : id est fama /doctrinam vellere

Elle est célèbre / Rechercher l’enseignement religieux

 

Euterpe
  • Muse de la Musique
  • Son nom signifie : ‘la réjouissante’
  • Ses symboles : un instrument de musique, souvent la flûte
  • La sentence d’ Herrade : bene selectans / desiderare quod velis

Elle fait le bon choix / Choisir ce que tu veux

Les Muses dans l’ Hortus DeliciarumMelpomène
  • Muse du Chant et de la Tragédie
  • Son nom signifie : ‘la chanteuse’
  • Ses symboles : le masque de tragédien, la couronne de pampre
  • La sentence d’ Herrade : Id est meditatio /intrare meditando

Elle est la réflexion / S’adonner à la réflexion

Thalie
  • Muse de la Comédie
  • Son nom signifie : ‘la florissante’
  • Ses symboles : le masque de comédien, la couronne de lierre
  • La sentence d’ Herrade : Capacitas nol ponens germina /capere quod meditaris

Faculté de garder les fruits / S’emparer pleinement de ce que tu étudies

Polymnie
  • Muse de la Rhétorique
  • Son nom signifie : ‘celle qui dit de nombreux hymnes’
  • Ses symboles : l’orgue, la couronne de perles
  • La sentence d’ Herrade : Multam memoriam faciens / memoria retinere quod ceperis

Elle fait en sorte de mémoriser / Retenir ce que tu as appris

Erato
  • Muse de la Poésie Amoureuse
  • Son nom signifie : ‘l'aimable’
  • Ses symboles : le cygne, la lyre, la couronne de roses
  • La sentence d’ Herrade : Similitudinem afferens / simile invenire

Elle apporte les ressemblances / Trouver les analogies

 

Les Muses dans l’ Hortus Deliciarum

Terpsichore
  • Muse de la Danse
  • Son nom signifie : ‘la danseuse de charme’
  • Ses symboles : un instrument de musique à cordes
  • La sentence d’ Herrade : Delectans instructione / dimidicare de eo quod inveneris

Elle met son soin à ordonner / Trier ce que tu as trouvé

Uranie
  • Muse de l’ Astronomie
  • Son nom signifie : ‘la céleste’
  • Ses symboles : le compas, une planète, couronne d’étoiles
  • La sentence d’ Herrade : Id est celestis / bonum eligere

Elle est céleste / Choisir ce qui est bon

Calliope
  • Muse de l’ Eloquence
  • Son nom signifie : ‘qui a une belle voix’
  • Ses symboles : un livre, un stylet, une couronne d’or
  • La sentence d’ Herrade : Optime vocis / quod elegeris bene pferre

La meilleure des voix / Rapporter clairement ce que tu as à dire.

Descends de l'Olympe, ô Calliope, ô reine,
Et dis sur la flûte un chant de longue haleine ;
Ou plutôt, la lyre entre les doigts,
Marie un air au timbre de ta voix.’

Horace, Ode à Calliope


Terminons cet hommage aux Muses en remerciant Herrade pour son intérêt pour les textes grecs anciens et aussi par une mosaïque romaine retrouvée à Trèves. Vous retrouvez le même type de présentation que le dessin d’Herrade, mais les neuf Muses ont droit ici à leurs signes distinctifs.
Les Muses dans l’ Hortus DeliciarumHerrade connaissait-elle cette œuvre ? Et vous, saurez-vous les reconnaître ?

Sources
  • Hésiode, Théogonie, ~800 av. J.C.
  • Homère, Odyssée, Livre VIII, ~800 av. J.C.
  • Platon, Dialogues Socratiques, ~400 av. J.C., cité et traduit par L. Péridier, éd. Les belles Lettres
Illustrations

Les miniatures de l ‘Hortus présentées sont extraites du livre ‘Hortus Deliciarum, Reconstitution du manuscrit du XIIème siècle de Herrade dite de Landsberg’. Ouvrage dirigé par Auguste Christen, textes de Charles Gies, mise en couleurs de Claudia Tisserant-Maurer.
Un ouvrage magnifique que nous ne pouvons que conseiller aux admirateurs d’Herrade.

Retrouvez d'autres articles dédiés à l' Hortus Deliciarum d'Herrade de Landsberg.

( Cliquez sur le lien ).

 

La Muse Clio

La Muse Clio

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L
Ah ces détournements chrétiens !!!<br /> Bravo Pierre pour ce superbe article. Cela faisait un moment que je n'avais pas arpenté ton blog et pourtant je me régale chaque fois que j'y viens.<br /> Aurais-tu relu l'Odyssée jusqu'à la fin pour y dénicher la mention des 9 muses ?<br /> Allez, je tente ton interrogation sur la mosaïque romaine, quoiqu'il manque certains signes distinctifs et la netteté des couronnes pour y distinguer le végétal, les étoiles ou encore les perles ...<br /> Melpomène - Euterpe - Clio<br /> Calliope - Polymie - Terpsichore<br /> Uranie - Thalie - Erato
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