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Autour du Mont-Sainte-Odile, le Mur Païen

Le château de Birkenfels, vu du ciel

4 Avril 2016 , Rédigé par PiP vélodidacte Publié dans #chateau

L’article de ce jour va nous faire voyager, aussi bien dans le temps que dans l’espace. Nous commencerons par la lecture d’un roman paru en 1862. Émile Erckmann et Alexandre Chatrian, les auteurs de ‘l’Ami Fritz’, nous proposent sous forme romancée un épisode peu connu de l’épopée napoléonienne : le début de la Campagne de France en Alsace et dans les Vosges en 1814. Après un bref résumé de l’intrigue, nous essaierons de situer les lieux décrits dans le texte des deux écrivains. Ensuite, nous démêlerons, dans la limite du possible, le roman de la réalité historique. Et c’est ainsi que nous terminerons par nous retrouver sur le Mont-Sainte-Odile au château de Birkenfels, que nous survolerons, pour quelques images inédites !
Le château de Birkenfels, vu du ciel

Le Fou Yégof, un roman d’ Erckmann-Chatrian

Après son échec en Russie, Napoléon livre une énième campagne à l’Europe coalisée contre lui : la campagne d’Allemagne. Ce sera un désastre ! En octobre 1813, après sa défaite à Leipzig, la Grande Armée doit se replier sur la France. Et les armées alliées, lancées à sa poursuite, vont marcher vers Paris. Les batailles importantes seront livrées dans les vallées de la Marne et de la Seine. Vaincu Napoléon abdique le 6 avril 1814 et se retire à l’île d’Elbe.
Le château de Birkenfels, vu du cielLe roman d’Erckmann-Chatrian raconte le passage des armées alliées dans les Vosges. Voici, en quelques mots, l’intrigue. Les russes et les bavarois ne peuvent emprunter les voies ‘naturelles’ pour traverser les Vosges : les troupes impériales du Général Victor tiennent encore Saverne et Sélestat. Les Alliés décident alors de passer par la vallée de la Bruche. Mais là, les villageois du village des Charmes et de bien d’autres petites localités de la montagne sont décidés à arrêter l’ennemi. Sous la direction de Jean-Claude Hullin, savetier, la résistance s’organise, financée par une patriote, la mère Lefèvre. Plusieurs centaines d’hommes sont réunis et armés par Hullin et son ami, le contrebandier Marc Divès. Si Erckmann nous décrit fort joliment la vie de ces gens simples, dans les petits villages des Vosges, il insiste fortement sur leur attachement à la France et à l’Empereur. Le roman, écrit en 1862, est patriotique et farouchement anti-allemand et anti-russe.
Le château de Birkenfels, vu du ciel Alors qu’Hullin et les siens préparent une embuscade, un mendiant, jugé fou par tous, un nommé Yégof, va de ferme en ferme en tenant des propos inquiétants sur les temps à venir. Lorsque les ‘ cosaques’ arrivent dans une partie resserrée de la vallée, Hullin et les siens emportent un premier succès. Mais les Alliés, guidés dans la montagne par Yégof, contournent les positions des résistants qui sont vaincus par le nombre. Les survivants se retirent dans un vieux château fort des Vosges, qui est en fait le repaire du contrebandier Marc Dives. Leur nid d’aigle est alors assiégé par les Bavarois et les Cosaques. Sur le point de mourir de faim, Hullin et les siens sont sauvés par un contingent de l’armée impériale venu de Phalsbourg. Le récit se termine sur cette ‘victoire’ éphémère. Le roman d’Erckmann-Chatrian comporte également une histoire d’amour entre Louise, la fille d’Hullin et un jeune soldat de la Grande Armée, Gaspard. Les descriptions des lieux, l’intrigue, le climat, le personnage fantasmagorique de Yégof procurent une lecture agréable. Le roman est attachant ! Lisez-le !

Les lieux décrits par Erckmann-Chatrian.

Erckmann était natif de Phalsbourg, Chatrian du village de Grand Soldat, situé derrière le Donon. On ne sera pas surpris de voir les deux auteurs situer l’ensemble de l’action dans la montagne vosgienne, côté lorrain, entre Donon et Phalsbourg. Beaucoup de noms de lieux sont inventés, pourtant une lecture attentive permet de situer avec précision les différentes péripéties de l’intrigue.

Les baies du Birkenfels
Les baies du Birkenfels
Les baies du Birkenfels

Les baies du Birkenfels

L’embuscade, tendue par Hullin, se situe juste au dessus de Grandfontaine, non loin de Schirmeck. De la ferme, où il est retranché Hullin voit la rue du village. Les Alliés ont quitté Mutzig, ils passent à Lutzelhouse, Urmatt, Framont. Les personnes qui connaissent les lieux peuvent être surpris de voir l’armée et ses canons quitter le Val de Bruche pour escalader les pentes raides du Donon. Erckmann n’explique pas ce parcours hasardeux et semble même le trouver naturel puisque c’est bien là que les résistants les attendent !
Les Partisans sont ensuite écrasés près du col du Donon. La fuite des rescapés emprunte la vallée de la Sarre Blanche, en direction de Saint Quirin. Hullin et ses amis passent dans son village, ‘le hameau des Charmes’, nom visiblement inventé, mais que je situerai au lieu-dit : le Ru des Dames, à quelques kilomètres de Saint Quirin.
Le petit groupe se réfugie alors dans les ruines du ‘château de Falkenstein’, selon Erckmann. Un véritable nid d’aigle, où Dives cache sa contrebande dans les sous-sols du vieux burg. Il existe bien des ruines médiévales dans la vallée de la Sarre Blanche, à cet endroit : ce sont les ruines de Turquestein. Je ne connaissais pas, alors, je suis allé voir. Turquestein, le château de l’évêque de Toul devait être une belle forteresse. Bien situé, vaste, avec de grandes caves, aptes à cacher les marchandises d’un contrebandier. Je vous propose un plan du site.
Le château de Birkenfels, vu du ciel Erkmann-Chatrian devaient connaître les lieux : l’épisode du siège serait presque crédible, si la forteresse n’avait été démantelée sous Louis XIII et n’était plus en état lors de la Campagne de France de 1814. Et voici quelques lignes du roman ‘le Fou Yégof’. Erckmann décrit ainsi la vie du contrebandier Divès et de sa compagne Hexe-Baizel dans leur repère des ruines du ‘Falkenstein’.

‘Sur la roche, au Falkenstein, à la cime des airs, s'élève une tour ronde, effondrée à sa base. Cette tour, couverte de ronces, d'épines blanches et de myrtilles, est vieille comme la montagne ; ni les Français, ni les Allemands, ni les Suédois ne l'ont détruite. La pierre et le ciment sont reliés avec une telle solidité, qu'on ne peut en détacher le moindre fragment. Elle a un air sombre et mystérieux qui vous reporte à des temps reculés, où la mémoire de l'homme ne peut atteindre. A l'époque du passage des oies sauvages, Marc Divès s'y embusquait d'habitude, lorsqu'il n'avait rien de mieux à faire, et quelquefois, à la tombée du jour, au moment où les bandes arrivent à travers la brume et décrivent un large circuit avant de se reposer, il en abattait deux ou trois, ce qui réjouissait Hexe-Baizel, toujours fort empressée de les mettre à la broche. Souvent aussi, en automne, Marc tendait dans les broussailles des lacets, où les grives se prenaient volontiers; enfin la vieille tour lui servait de bûcher.
Combien de fois Hexe-Baizel, lorsque le vent du nord soufflait à décorner des bœufs, et que le bruit, le craquement des branches et le gémissement immense des forêts d'alentour montaient là-haut comme la clameur d'une mer en furie, combien de fois Hexe-Baizel avait-elle failli être enlevée jusque sur la Kilbéri en face ! Mais elle se tenait cramponnée aux broussailles, des deux mains, et le vent ne réussissait qu'à faire flotter ses cheveux roux.’

Erckmann-Chatrian, le Fou Yégof, chapitre XXIII

La part du roman, la part d’histoire

Mais quel rapport avec le Birkenfels ? me direz-vous…. J’y viens, j’y viens. Et c’est le plus étonnant de cette histoire. Erckmann-Chatrian se sont basés sur des faits bien réels pour construire leur intrigue. Lors de l’invasion par les armées alliées, un groupe de partisans a réellement cherché à s’opposer à leur progression.
Nicolas Wolff est alors le maire de Rothau, village situé juste en amont de Schirmeck. Ancien négociant en bois, Nicolas s’est considérablement enrichi, il est devenu directeur des forges et propriétaire des mines de Framont. Fervent partisan de l’empereur qui l’a décoré de la Légion d’Honneur, Nicolas est devenu maire de Rothau. C’est lui qui va susciter et organiser la résistance de la vallée. Son groupe de partisans parviendra à bloquer l’avancée des alliés pendant deux jours. Voici quelques dates de ce début 1814 qui permettent de mieux comprendre les faits historiques et surtout leur importance toute relative.

  • 3 janvier : les alliés entrent en Lorraine par le col de Bussang, puis quelques jours plus tard par le col de Sainte Marie et celui du Bonhomme.
  • 10 janvier : les alliés installent à Saint-Dié une garnison et son commandement. L’essentiel des troupes marche vers Paris. Ce n’est qu’au mois d’avril, trois mois plus tard, que Nicolas Wolff semble commencer son action.
  • 3 avril : proclamation de Nicolas Wolff, appel à l’insurrection. Il réunit rapidement quelques centaines de partisans. Son second est un sous officier de la Grande Armée, nommé Bertrand.
  • 5 avril : un régiment badois commandé par le capitaine Bodmann, est envoyé dans la vallée pour contrer les Partisans. Il vient d’Epinal et passe par Saale pour redescendre le val de Bruche et ramener l’ordre.
  • 7 avril : Bataille de Rothau et ‘victoire’ de Nicolas Wolff…. Deux journées d’escarmouches et d’embuscades, où les Partisans surprennent les Badois. Ceux-ci vont, bien entendu, se ressaisir rapidement et Nicolas devra quitter Rothau pour se cacher dans la montagne. La Grotte des Partisans, une ancienne mine de fer en fait, lui aurait servi de premier repaire, mais trop proche de Rothau, Nicolas et les siens durent chercher refuge plus loin.

Ce même 7 avril 1814, Paris a signé sa reddition et Napoléon doit abdiquer. Le combat de Nicolas était dérisoire, inutile et perdu d’avance.
Le château de Birkenfels, vu du ciel
Après Waterloo, Nicolas Wolff se retrouve ruiné et sans appui, il meurt à Colmar en 1846. Vous pouvez voir une stèle de granite à sa mémoire érigée dans le cimetière de la petite ville de Rothau.

Nicolas Wolff et les Partisans au Birkenfels ?

Le château de Birkenfels, vu du cielDeux articles de Jean Braun (1974) et Georges Heintz (1985) parlent de la présence de Nicolas et ses amis au château de Birkenfels. Selon Braun, après l’extermination d’une patrouille de cosaques à Urmattle 4 janvier 1814, les partisans auraient effectué un séjour au Birkenfels avant de rejoindre Rothau. Heintz parle, lui aussi, mais sans donner de date précise, d’un refuge trouvé par Nicolas et sa troupe au Birkenfels, ils étaient alors ‘cernés par les cosaques’. Les deux articles, dédiés à l’étude des ruines, ne s’attardent malheureusement pas sur l’épisode. Et nous n’en savons pas plus…
Si on en croit ces deux auteurs, l’action de Nicolas Wolff aurait débuté dès l’arrivée des alliés en Alsace. Et un premier accrochage aurait eu lieu à Urmatt dès janvier. Nicolas était un partisan convaincu de Napoléon, il est probable qu’il n’a pas attendu avril, alors que les alliés étaient déjà devant Paris pour s’engager dans la lutte. Le combat contre les cosaques a lieu à Urmatt, le repli vers le Birkenfels semble naturel et efficace. Cependant, si les partisans ont réellement passé plusieurs nuits dans le Birkenfels au mois de janvier, il faut espérer qu’ils étaient bien équipés ! L’aquarelle de Imlin que nous présentons ci-après a été peinte un an après les faits. Observez les ruines, l’abri devait déjà être précaire.
Le château de Birkenfels, vu du ciel
Les Partisans d’Erckmann-Chatrian, dans leur roman ‘le Fou Yégof’, se replient, eux aussi, dans une ruine du moyen âge, le ‘château de Falkenstein’, dans la vallée de la Sarre Blanche. Ce ne peut être un simple hasard ! Sans doute Erckmann et son ami Chatrian, qui écrivaient une cinquantaine d’années après les faits, en savaient-ils plus que nous à propos de Nicolas Wolff et de ses caches dans les forêts des Vosges. Nous aimerions en savoir plus et vous donner plus de détails, mais qu’importe, voilà l’occasion de vous proposer quelques images du Birkenfels, vu du ciel !

Le Birkenfels, vu du ciel
Le Birkenfels, vu du ciel
Le Birkenfels, vu du ciel
Le Birkenfels, vu du ciel
Le Birkenfels, vu du ciel

Le Birkenfels, vu du ciel

Sources
  • Erckmann-Chatrian, Le Fou Yégof, 1862
  • J. Braun, Châteaux de la forêt d’Obernai, SHABDO 1974
  • G.F. Heintz, Notes sur les ruines du château de Birkenfels, SHADBO 1985

Je n’ai trouvé que bien peu de littérature sur ces évènements. Plusieurs sites informatiques racontent en quelques mots les aventures de Nicolas Wolff, mais souvent ils se contredisent et ne donnent pas leurs sources. Voici l’adresse de celui qui nous a paru le plus complet :

Les-alliés-à-Saint-Dié-en-1814

Les personnes intéressées par des photos du château de Turquestein peuvent se reporter au site suivant :
article-le-chateau-de-turquestein

Pour s’y rendre en vélo à partir d’Obernai, prévoir une grosse journée avec deux ascensions du col du Donon ! (Jean, si çà te dit…)

Terminons par quelques images d’archives du Birkenfels au XIXème siècle.

Images d'archives, le Birkenfels
Images d'archives, le Birkenfels
Images d'archives, le Birkenfels

Images d'archives, le Birkenfels

Détail amusant : L’observateur attentif remarquera sur le dessin de Louis Laurent-Atthalin et sur celui de Simon que la bretèche la plus haute du château porte une pierre percée. La bretèche faisait alors office de latrines… Juste au dessus de la porte principale du château !

Comme c’est curieux... non ?

IllustrationsLe château de Birkenfels, vu du ciel
  • Emile Erckmann et Alexandre Chatrian, auteurs du roman ‘ Le Fou Yégof’.
  • Page de garde du roman ‘ Le Fou Yégof’
  • Plan du château de Turquesheim
  • Carreau de poêle trouvé dans les ruines du Birkenfels
  • Aquarelle de Imlin, 1815
  • Photos aériennes des ruines du Birkenfels, FrP assisté par ElJ & PiP
  • Vues anciennes du Birkenfels

Dessin de Louis Laurent-Atthalin, 1836
Lithographie d’après Simon, 1859
Lithographie signée A.S., 1868

  • Stèle Nicolas Wolff à Rothau

 

 

Les lieux concernés, dans le livre d'Erckmann-Chatrian et dans la réalité.

Les lieux concernés, dans le livre d'Erckmann-Chatrian et dans la réalité.

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C
Merci pour cette page très intéressante. Je voudrais ajouter que dans l'édition Hachette de 1932 que possédait mon grand père, le récit de l'invasion était suivi de "Le passage des Russes" qui en 10 pages relatait comment, en 1814, l'armée russe réussit à passer de nuit sous les canons de Phalsbourg sans être inquiétée. Un récit qui semble directement inspirée par un témoin de l'époque et qu'on dû rencontrer les auteurs.
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P
Le passage des Russes à Phalsbourg est avéré. Certains, parmi les militaires, avaient déjà fait leur deuil de l'Empire....
P
Très bonne idée, d'accompagner désormais vos billets par des images prises par drone / c'est très vivant et très agréable ...<br /> Permettez-moi de "revenir en arrière" et de souhaiter que le Landsberg et Truttenhausen fassent l'objet d'une telle "revisitation" !<br /> Bravo aux "dronistes" et au metteur en scène ..., lu toujours avec grand plaisir dans les montagnes de Haute-Savoie ! Merci, merci ...
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P
Pour Truttenhausen, vous devriez l'obtenir sans problème. Je vais en parler à mes gentils cousins ...<br /> Bien à vous ...<br /> Pierre Guibaud
P
Pour le Landsberg, je pense que ce sera au mois de mai..... j'ai les images, il me faut chercher un thème d'article.... je vous demande un peu de patience ! Pour Trutt, il faudrait que je demande une autorisation de survol....
C
J'ai ma prochaine lecture si je déniche le roman de Erckmann-Chatrian ...<br /> Comme toujours, intéressant et superbes photos !
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P
Le Fou Yégof est disponible sur le net en livre gratuit.... mais rien ne vaut le livre papier, certes. Auquel cas, ce peut être plus difficile à trouver.... bonne chance !