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Autour du Mont-Sainte-Odile, le Mur Païen

Jean de Dirpheim, l’évêque inattendu

28 Juillet 2015 , Rédigé par PiP vélodidacte Publié dans #personnage

Jean de Dirpheim, l’évêque inattenduDans le transept de l’Eglise des Jésuites de Molsheim, un magnifique gisant fort ancien étonne dans le décor baroque. Ici, repose Jean Ier de Dirpheim, évêque de Strasbourg. Qui était-il ? Et pourquoi avoir choisi Molsheim comme dernière demeure ?

L’ élection de Jean de Dirpheim

A la mort de Frédéric de Lichtenberg en 1306, le Chapitre de la Cathédrale de Strasbourg se réunit, comme de coutume, et les chanoines désignent les candidats à la succession. Closener cite quatre noms : Jean de Florichingen, Jean d’ Ochsenstein, Jean de Erenberg, Hermann de Thierstein. Le Chapitre, composé exclusivement de nobles de haut lignage, n’a, bien entendu, choisi les prétendants que parmi la noblesse alsacienne. C’était ainsi !
Jean de Florichingen semble rassembler les suffrages, mais il décède subitement. Il semble alors qu’un cinquième candidat Jean de Sirke veuille emporter la mise. Mais l’accord ne se fait pas. La question est alors soumise au Pape Clément V qui réside à Avignon. C'est une grande première, jamais Strasbourg n'avait demandé l'arbitrage d'un saint père.
Jean de Dirpheim, l’évêque inattenduJean d’Ochsenstein est le représentant d’Albert de Habsbourg, roi des Romains. On pourrait le croire favori. Albert négocie parallèlement avec Clément V son couronnement à l’Empire. Ses envoyés auprès de la Curie sont alors son confesseur l’abbé de Pâiris, Philippe de Rathsamhausen, et son chancelier Jean de Dirpheim, tout nouvel évêque d’Eichstaett en Bavière.
La décision du Pape Clément étonnera la Curie, Strasbourg et toute l’Alsace.
Contre toute attente, les quatre dignitaires alsaciens sont écartés par Clément au profit de Jean de Dirpheim, présent auprès du pape à Lyon. Un roturier devient évêque de Strasbourg ! C’est une première et la surprise est totale à Strasbourg. Les tractations et le détail des débats ne nous sont malheureusement pas connus.

Qui était Jean de Dirpheim ?

Jean de Dirpheim, au moment de son élection, est à la fois évêque d’Eichstaett et chancelier d’Albert de Habsbourg. Ses origines sont bien éloignées de celles de ses concurrents. ‘ Der Johanes kantzeler waz unelich geborn’ nous confie Closener. Le chancelier Jean était né en dehors des liens du mariage. Bigre ! Selon l’étude de Francis Rapp, son père était un prêtre de Constance, Jean de Wildegg, prévôt de la cathédrale de Zürich. Le nom de sa mère ne nous est pas même parvenu. Jean, grâce aux revenus de la charge de son père, fait de solides études et devient à son tour prévôt à Zürich. Diplômé en droit de Bologne, il est remarqué par les Habsbourg qui s’attachent sa personne.
Voici ce que nous dit Daniel Specklin, de la naissance de Jean.
‘Cet évêque Johann von Dirpheim est né hors des liens du mariage, d’un père chevalier nommé Johann Schenk von Wildeck, situé près de Zürich. Mais comme il était né dans le village de Dirpheim et y fut élevé, on l’appela Dirpheim, pour que ses parents et leurs amis n’en ait pas de déshonneur, et lui-même, jamais, ne fit seulement une allusion à ce nom’. Les apparences furent donc sauvées !
Jean de Dirpheim, l’évêque inattendu
Clément V écarte donc le candidat officiel des Habsbourg mais nomme un de leurs protégés : c’était de bonne politique sans doute. Pour la première fois, un roturier accède à l’évêché de Strasbourg !
Albert de Habsbourg était satisfait ! Toujours selon Specklin, Albert organise une entrée triomphale dans Strasbourg pour son chancelier .
‘ Er was biderbe un fridesam, un sinen armen lüten gnedig un allem lande geneme.’
Miséricordieux envers les pauvres gens, il plaisait à tout le pays ! conclut Closener. Gageons pourtant que les membres du Chapitre n’ont pourtant pas du apprécier cette nomination pour le moins inattendue.
Etrangement, seule la Chronique de Closener donne au nouvel évêque le patronyme de Dirpheim.
‘ 1306 Johans der erste von Dirpheim in Swoben, was Bischof XXII ior un der kam an das bistum also.’
Ailleurs, on trouve plutôt Jean de Zürich. Dirpheim est pourtant le nom qui a traversé les âges. Closener nous dit que Dirpheim est situé en Souabe. Daniel Specklin avait-il raison ? A quelques kilomètres au nord de Tuttlingen, le village appelé aujourd’hui Dürbheim s’enorgueillit donc d’être le lieu de naissance d’un évêque de Strasbourg !

L’action de Jean de Dirpheim

Closener fait état d’une vaste politique de travaux de fortifications des villes et villages attachés à l’évêché : Molsheim, Mutzig, Schirmeck, Dachstein, Dambach, Benfeld, Marckolsheim, Sainte-Croix, Boersch, ainsi qu’Oberkirch de l’autre côté du Rhin. Les travaux sont lancés sous la direction de Jean, beaucoup seront terminés sous le règne de son successeur Berthold. ( Voir, par exemple, nos articles sur Boersch et sur Dambach la Ville ).
Francis Rapp insiste sur le synode de 1310, où Jean prescrivit à tous les détenteurs de bénéfices religieux de se faire ordonner (sic ! ). Jean entendait améliorer les mœurs du clergé, contrôler les mouvements des objets du culte, les ornements des églises, régler le conflit latent entre les ordres séculiers et réguliers.
Lors de l’avènement de Louis de Bavière, Jean tenta une politique équilibrée mais difficile entre le nouvel empereur et le pape. Il tentait d’épargner à sa ville les combats désastreux qui accompagnent les luttes entre papauté et empire.
Jean de Dirpheim, l’évêque inattendu

A Molsheim, après l’épidémie de peste de 1311, Jean de Dirpheim avait créé un hôpital. Lorsqu’il meurt le 6 novembre 1328 , il est inhumé dans la chapelle de celui-ci. Voici son épitaphe, aujourd’hui disparue mais citée par Bernard Herzog.
 

‘Anno Domini Millesima Trecentesimo Vigesimo Octavo, 8 Idus Nouemb.
Obiit venerabilis Dominus Iohannes Episcopus Argentinensis, primus, fundator & constructor huius hospitalis
.’

 

Son successeur Berthold de Bucheck se révélera moins consensuel que Jean. Controversé dès son élection, brutal, cupide, violent, Berthold fera regretter aux pauvres gens la politique mesurée de Jean de Dirpheim.
Le lecteur peut se reporter à notre article sur les Hohenstein. ( cliquez sur le lien )

L’hospice Saint Erhard à Obernai

Jean de Dirpheim, l’évêque inattendu
Nous avons déjà mentionné l’hospice de Molsheim, créé par l’évêque Jean. Le fait est moins connu, mais Obernai connut également les effets de la politique de Jean. Un an après la famine et la peste de 1313, la ville d’Obernai souhaite créer un établissement de bienfaisance, ce sera l’hospice Saint Erhard.
Voici un court extrait d’un compte rendu publié par Joseph Gyss.

Celui ci annonce la fondation de l’hospice.
‘ … le prévôt et la communauté de la ville d’Obernai … donnèrent et résignèrent, par donation irrévocable et avec toute la solennité requise, les revenus annuels de quarante deux sacs de froment et de deux chariots de vin blanc à l’usage des pauvres infirmes et l’hospice à fonder et soumirent ce même hospice… à l’autorité de l’évêque de Strasbourg, conformément aux statuts des saints canons’
Deux chariots de vin blanc ! Bigre ! Le procès verbal ne donne ni les cépages, ni la taille des chariots !
Un an plus tard, Jean de Dirpheim approuve la fondation. L’hospice est bâti à l’endroit où se trouve toujours l’hôpital d’Obernai. Il est dédié à Erhard, en souvenir de cet évêque de Ratisbonne qui baptisa Odile, selon la tradition.

Le tombeau de Jean de Dirpheim

Jean a souhaité être inhumé à Molsheim, où il s’était retiré. Il a choisi la chapelle de la Vierge de l'hôpital qu'il avait fondé en 1316. Au XVIIème siècle, les Jésuites s’installent à Molsheim et bâtissent l’église que nous connaissons aujourd’hui à l’emplacement de l’ancien hospice. Le gisant de Jean est mis en bonne place dans le nouveau sanctuaire.

Gisant de l'évêque Jean de Dirpheim
Gisant de l'évêque Jean de Dirpheim
Gisant de l'évêque Jean de Dirpheim

Gisant de l'évêque Jean de Dirpheim

Décapité lors de la Révolution Française, le gisant , restauré, retrouve sa place en 1989.

La Chartreuse de Molsheim

On ne quittera pas Molsheim sans rendre visite au petit musée de la Chartreuse de Molsheim.
Dans l’ancien monastère créé à la fin du XVIème siècle au centre de la Ville, les bénévoles ont reconstitué les cellules des moines, avec leur mobilier et une belle évocation de la vie monastique. Les souvenirs sont nombreux, ils retracent l’histoire de la ville. Les lieux sont calmes, retirés. La promenade dans les petits jardins des moines enchante le visiteur.

La chartreuse de Molsheim
La chartreuse de Molsheim
La chartreuse de Molsheim

La chartreuse de Molsheim

Sources
  • F. Closener, Chronique de Closener, 1362
  • D. Specklin, Collectanées, 1580
  • B. Herzog, Chronicon Alsatiae, 1592
  • J. Gyss, Histoire de la Ville d’Obernai, 1866
  • F.E. Sitzmann, Dictionnaire de biographie des hommes célèbres d’Alsace, 1909
  • F. Rapp, les évêques de Strasbourg à l’époque de Jean Tauler, 2001
Illustrations
  • Photographies du tombeau de Jean de Dirpheim, FrP
  • Photographies de la Chartreuse de Molsheim, FrP
  • Armes de la Ville de Dürpheim

 

Dans l'église des Jésuites à Molsheim, l'amoureux du Mont Sainte Odile ne manquera pas l'antepedium qui retrace la légende de l'arrivée de la Croix Monumentale de Niedermunster. Einmalig !

Jean de Dirpheim, l’évêque inattendu
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J
Superbe ce gisant et les commentaires à l'avenant.
Répondre
C
Toujours agréable à lire et à voir les belles photos...<br /> A quand une Evèque femme à Strasbourg ou ailleurs ?......................!
Répondre
P
Dés que le pape sera une femme, je suppose....